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Le novice du Tamaris
Les oubliés de l'île Saint Paul
Le carnet oublié
  
28 novembre 1886, Nantes.
Le trois-mâts barque "Tamaris ", capitaine Majou, appareille pour rallier Nouméa ; sa cargaison, composée de divers matériels, doit contribuer à l'équipement de la Nouvelle Calédonie, devenue possession française depuis septembre 1853.
Négligeant la toute nouvelle route offerte par le percement du Canal de Suez, Majou met cap au sud, adoptant ainsi la voie classique des grands voiliers de façon à utiliser au mieux le régime des alizés de l'Atlantique ; ce choix n'était pas sans risques : au sud de l'archipel de Tristan Da Cunha, les navigateurs rencontraient alors la région des grands frais d'ouest, où les dépressions se succèdent tous les deux-trois jours en un chapelet ininterrompu ; c'est la zone des "quarantièmes rugissants" et des "cinquantièmes hurlants", caractérisée par  une mer toujours très forte ; c'est aussi la latitude de plusieurs îles et archipels volcaniques d'accès difficile : Bouvet, Crozet, Kerguelen et, plus à l'est, les Macquaries.
  
Le naufrage..
   Majou rencontre une mer très grosse après avoir viré Tristan da Cunha ; la navigation est difficile, la position incertaine : c'est ainsi que, dans la nuit du 8 au 9 mars 1887, le "Tamaris" se trouve dans les parages de l'île des Pingouins, à l'ouest de l'archipel de Crozet.
Pris dans la tempête, ingouvernable, le navire talonne un récif et coule en trois heures.
Rescapés !
       Majou et son équipage ont cependant eu le temps de mettre la grande chaloupe à l'eau et d'y embarquer eau, vivres et outils, et, plutôt que d'aborder l'ile aux pingouins, ils décident de rallier l'île aux Cochons à quelques milles : Majou savait que les phoquiers américains du "Comus" avaient installé là un dépôt de vivres et de matériel de secours.
Ces îles renferment d'immenses populations d'éléphants de mer alors exploités pour leur graisse ; les phoquiers de diverses nationalités sont très nombreux, les naufrages fréquents, souvent dramatiques, dans des mers froides et inhospitalières : la constitution de dépôts (les fameuses "cabanes"), là où on le pouvait, était une précaution élémentaire dont l'habitude se poursuit jusqu'à maintenant ; nos navires veillent régulièrement au bon approvisionnement de ces "cabanes" !
Les naufragés atteindront les Cochons le 11 : trois jours à louvoyer dans une mer de furie pour franchir vingt milles !
La vie s'organise sur cette île, mais les réserves sont limitées : c'est ainsi qu'au bout de quelques semaines, la viande de phoque, les albatros et les oeufs de pingouins remplacent les biscuits de mer, la viande et le poisson séchés. Les vêtements usagés sont complétés par des accoutrements en peau d'otarie. La tourbe fournit le combustible.
Pourtant, malgré des conditions de survie à peu près satisfaisantes, le doute s'installe peu à peu dans l'esprit du capitaine : aucune voile à l'horizon ! L'île est-elle bien régulièrement visitée par les navires phoquiers ? C'est ainsi que Majou décide d'embarquer à nouveau sur la chaloupe et de rejoindre à l'est de l'archipel l'île de la Possession ou l' île de l'Est où, pense - t'il, les passages sont beaucoup plus fréquents.
Jean-Yves Le Guen, 18 ans, est novice à bord : c'est son dernier embarquement d'instruction avant de passer matelot. A - t'il entendu parler des aventures du capitaine Lesquin, de Morlaix ? Toujours est-il qu'il décide, avant de quitter les "Cochons", d'attraper un jeune albatros et de lui fixer au cou une plaque de tôle portant l'inscription :
" Treize naufragés français réfugiés aux Crozets. Le 4 août."
  
22 septembre 1887, Australie, plage de Perth.
Un groupe de promeneurs découvre un albatros géant, épuisé ; il porte au cou une plaque métallique gravée. LA plaque gravée par Jean-Yves Le Guen. L'oiseau avait parcouru 6500 km en 6 semaines.
Le consul de France est prévenu, la machine diplomatique se met en route, et, le 18 novembre, l'aviso la "Meurthe", basé à Madagascar, appareille de Sainte-Marie avec pour mission d'explorer les Crozet et de localiser d'éventuels naufragés, probablement l'équipage du Tamaris dont on était sans nouvelles. L'atterrissage sur l'île aux cochons fut dangereux tant la mer était mauvaise, et ce n'est que le 1er décembre qu'un canot put être envoyé à terre.
Personne !
Mais on trouve la cabane, et là, dans une boite en fer, le journal du capitaine Majou daté du 30 septembre faisant part de son intention de rallier la Possession, plus à l'est, afin d'y attendre les secours. Les jours suivants, la "Meurthe" visite la Possession – plusieurs fois - , l'île de l'Est, revient aux Cochons, visite les Apôtres…
Rien !
Le Tamaris et son équipage sont perdus à tout jamais.
Le 16 décembre 1887, la "Meurthe" se dégage des îles et rejoint Madagascar.
Les marins du "Tamaris" ont été atteints par le syndrome du naufragé : échoué sur une île, dans un archipel, celui-ci acquiert peu à peu la certitude qu'il est mal placé et qu'il serait bien plus en vue des secours sur "l'île d'en face". Il n'a alors de cesse que de quitter son île, bien souvent sur une embarcation d'une précarité extrême, et c'est là que le drame final survient !
  
Et maintenant ?
Les albatros de Crozet font l'objet d'études approfondies : on étudie leurs périples … en les équipant de balises "Argos" ! C'est ainsi, qu'en 1992, débarquant à Crozet, j'ai appris au jeune scientifique chargé d'équiper ces volatiles, qu'un de ses protégés venait de parcourir plus de 10000 km … avant de revenir à la maison.
Ces oiseaux, équipés maintenant de capteurs hyper miniaturisés sont maintenant devenus de précieux auxiliaires pour la météo !
On procède de même avec les manchots et les éléphants de mer. Les TAAF , comme à l'habitude, ont dédié un timbre à leurs nouvelles espèces d'oiseaux :
- les " manchots Argos " ;
- les  " albatros Argos " .
Vous aurez une idée des conditions de mer rencontrées par nos marins dans les parages de Crozet et de Kerguelen !
Les voyages des albatros.
Les juvéniles quittent l'archipel dès qu'ils sont capables de voler ; ils rejoignent alors le sud de l'Australie - ce qui est parfaitement cohérent avec l'aventure du Tamaris.
La mortalité est très élevée, proche de 90% !
Ils reviendront à Crozet après 9 ou 10 ans, adultes, pour se reproduire. Comme le montrent les enregistrements, ils resteront alors dans les parages des îles subantarctiques, tantôt à l'ouest, tantôt à l'est de Crozet, jusqu'à Kerguelen.
Les animaux sont pesés à l'issue de chacune de leur excursion, ce qui donne de précieuses indications sur l'évolution des zones frontales, riches en poissons.
  
Crozet : la Possession. La Baie du Marin, la manchotière, le Marion au mouillage et, au loin, dans la brume, l'île de l'Est.
Albatros géants : ceux là même qui s'envoleront bientôt vers l'Australie.
Quel intérêt d'équiper ainsi ces pauvres bêtes ?
On sait depuis les aventures des grands voiliers que ce front polaire correspond à la grande circulation ouest-est, courant circumpolaire intense et froid ... qui envoie des branches le long des côtes d'Afrique (courant des Benguela) et d'Amérique (Courant de Humboldt) : tout le monde a entendu parler de El Niño, phénomène climatique de première importance lié aux variations de ce courant du Chili.
Un coup d'oeil sur le bloc-diagramme dessiné par Swerdrup en 1940 suffit pour voir que les eaux qui apparaissent en surface dans l'Antarctique ... ont une origine profonde - on les nomme d'ailleurs ainsi  - et qu'elles "remontent" en surface au voisinage du continent ; ce sont les vents catabatiques, vents extrèmement violents qui, soufflant du continent antarctique vers la mer et chassant ainsi les eaux de surface vers le nord, provoquent cette "remontée".
Ces eaux profondes proviennent en fait du nord de l'Atlantique : mer de Norvège et mer du Labrador, là où les eaux de surface s'alourdissent sous l'action du froid et "plongent" ... pour réapparaitre en Antarctique.
Mais ces eaux très froides, dérivant vers le nord, rencontrent bientôt des eaux plus chaudes, d'origine tropicale : c'est la fameuse zone frontale, là où les manchots viennent se nourrir. C'est là aussi que les isothermes ne sont plus grosso-modo horizontales, comme dans le reste de l'océan mondial, mais deviennent pratiquement verticales : le gradient de pression horizontal est alors très élévé, les courants sont importants, la turbulence extrème.
C'est cela que mesurent nos pingouins ... permettant ainsi aux océanographes d'appréhender la variabilité de cette zone.

Ceci est évidemment de grand intérêt à l'heure des interrogations climatiques, lorsqu'on a compris que le modèle océan-atmosphère était un modèle global.
Et les manchots ? Les alliés des océanographes. !
On les équipe, eux aussi, de balises argos et de capteurs de température ; ils sont donc devenus des auxiliaires précieux pour les océanographes !
Ces animaux se nourrissent de poissons, de calmars et autres créatures marines qu'ils vont rechercher là où elles pullulent, c'est à dire dans les parages de la convergence antarctique (le front polaire) : on sait qu'ils fréquentent ces eaux riches grâce aux relevés de température, et la balise donne leur position ; outre les habitudes de ces charmants bestiaux, on connaît donc la position du front - et son évolution !
Nous pourrions bien sur faire directement ces mesures, mais le coût d'exploitation d'un navire de 120 mètres effectuant des missions régulières, d'un équipage de plusieurs dizaines de personnes, n'a vraiment pas grand-chose à voir avec celui d'un manchot équipé de capteurs miniatures !
Swerdrup, 1940
Lamy, 1986
Ces deux planches sont remarquables :
- l'une présente une section thermique de la zone frontale obtenue à grand frais en 1989 - opération que l'on pourrait éventuellement renouveler deux ou trois fois par an,
- l'autre montre des structures thermiques analogues obtenues grâce aux mesures de nos "auxiliaires" qui, eux, parcourent ces zones en permanence ; on peut ainsi voir l'évolution de ces structures en temps quasi réel. Merci Argos.
Koudil, 2000
Et les albatros ne sont pas de reste !
Une étude récente menée sur les albatros d'Amsterdam a montré que le nourrissement des poussins était en relation étroite avec la position du front polaire, là où la nourriture est abondante :
l'éloignement du front augmente l'intervalle de temps séparant deux nourrissements tandis que la quantité de nourriture apportée au poussin diminue.

Il suffit alors de peser le nid de ces oiseaux pour mesurer ces deux paramètres !

C'est ainsi que l'on a installé sur Amsterdam plusieurs nids artificiels - aussitôt adoptés par les oiseaux ; ces nids sont équipés d'un système de pesée automatique dont la mesure ... pourrait être transmise par Argos !
On mesurerait ainsi en temps quasi réel la position du front polaire par rapport à Amsterdam -en période de couvaison -, ce qui ne serait déjà pas si mal !
Et Argos dans tout cela ?
Argos est un système de mesure embarqué sur cinq satellites à orbites polaires (altitude : 850 km).
Ce système permet la localisation de balises par effet doppler (intersections d'hyperboles) ainsi que la transmission de (courts) messages : 256 bits.
Le système GPS permet une localisation plus précise : on équipe alors les balises d'un récepteur GPS pour les applications nécessitant cette précision ; les mesures du récepteur GPS sont alors intégrées dans le message transmis.
Pour en savoir plus :

Et les éléphants s'y sont mis eux aussi !!